La vie simple
J’ai un seul regret dans ma vie : celui d’avoir trop travaillé. Alors, dans les moments de grande surchauffe professionnelle, je me souviens que je rêvais souvent d’être jardinier.
Je m’imaginais, tranquille, en train de bêcher, ratisser, planter, tailler. Entouré du chant des oiseaux et du bourdonnement des abeilles, respirant l’air pur, reniflant les odeurs végétales. Sans personne pour me mettre la pression. Avec du temps devant moi pour m’arrêter, sourire en regardant passer un nuage, tomber une feuille, s’envoler maladroitement une coccinelle. Une vie douce et simple.
Bien sûr, je savais que la vraie vie des vrais jardiniers ne ressemble pas toujours à ça. Mais ça me faisait du bien d’en rêver un instant. Devenir jardinier, dans mon cas, faisait partie de ces « illusions chaleureuses” dont nous avons tous besoin, par moments. De ces illusions qui nous font aspirer à plus de simplicité dans nos vies.
Nos existences ne sont pas plus dures que jadis, pas plus difficiles que celles de nos grands-parents ou de nos ancêtres, mais elles sont plus compliquées, plus stressantes, plus encombrées, plus obscures. Alors, nous aspirons à la simplicité, comme le poisson aspire à l’eau ou l’oiseau au ciel ; alors, la simplicité nous apparaît comme un idéal de vie, une musique lointaine et envoutante…
La simplicité me semble une vertu, une vertu triple : relationnelle, intellectuelle et morale.
Vertu relationnelle d’abord : c’est le philosophe André Comte-Sponville qui en parle le mieux, quand il définit la simplicité comme « le contraire du narcissisme, de la prétention, de la suffisance. C’est à quoi peut-être les personnes simples se reconnaissent le mieux : elles sont faciles à vivre, à comprendre, à aimer. »
Vertu intellectuelle ensuite : j’ai toujours éprouvé une grande méfiance pour les discours intellectuels compliqués, tout emplis de ce que Paul Valéry appelait la « fausse profondeur ». C’est ce même Valéry qui rappelait d’ailleurs : « Ce qui est simple est faux ; ce qui est compliqué, inutilisable. »
Eh oui, en matière intellectuelle, le simple n’existe pas, il n’y a que du « simplexe » : du complexe qu’on fait l’effort de simplifier, pour le rendre compréhensible. Intellectuellement, nous avons donc à utiliser le simple comme une sorte d’arrangement transitoire et nécessaire, sans perdre de vue que tout est en réalité bien plus compliqué !
Vertu morale enfin : la simplicité est le choix du dépouillement, du renoncement à l’opacité et aux artifices, et pour cela, une des caractéristiques constitutives de la sagesse. Ne nous demandons pas ce que les sages ont de plus que nous, mais plutôt ce qu’ils ont en moins, ce à quoi ils ont appris à renoncer.
La simplicité est une attitude qui ne peut se feindre ou se décider du jour au lendemain, comme le soulignait l’abbé Fénelon : « À trop vouloir être simple, on s’éloigne de la simplicité »
Elle est le renoncement aux postures sociales, aux calculs, aux protections et aux carapaces.
Elle est la vertu du dépouillement volontaire et souriant, comme le rappelle le poète disparu Christian Bobin : « J’ai enlevé beaucoup de choses inutiles de ma vie et Dieu s’est rapproché pour voir ce qui se passait. »
Allons-y les amis, enlevons l’inutile de nos vies, et voyons un peu qui s’approche…
PS : cet article reprend ma chronique du 16 mai 2023 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.
Illustration : Fleurs, par Odilon Redon, 1909.