Le “biais tribal” : moi, mes semblables, et tous les autres…

 

Nous autres les humains, nous avons un cerveau génial. Bon, cette phrase est davantage vraie pour certains d’entre nous que pour d’autres, mais vraie quand même, dans l’ensemble. Génial, donc, mais… avec quelques petits défauts.

Le premier de ces défauts, c’est que notre cerveau génial est aussi… tribal : il tend spontanément à nous faire préférer les humains qui nous sont proches : notre famille, les membres de notre tribu, voire les humains à notre image, par la langue, l’apparence, la culture. Pour les autres, ceux qui ne nous ressemblent pas, il faudra parfois faire un effort pour les aimer, pour les aider. Il faudra faire un effort pour apprendre à surmonter ce qu’on nomme le « biais tribal »…

Le deuxième défaut, c’est que notre cerveau merveilleux est aussi… paresseux. Cet effort, d’ouverture il a parfois la flemme de l’accomplir. Et il reste alors installé dans ses clichés, ses stéréotypes, ses généralisations faciles, ses phrases du type « Tous les {points de suspension} sont des {autres points de suspension} », qui sont toujours fausses et toujours toxiques.

Le troisième défaut, c’est que notre cerveau fabuleux est aussi… peureux. Il craint ce qu’il ignore, ce qu’il connaît mal, de loin. Et du coup, il le rejette et le juge. Beaucoup d’études le montrent : par exemple, activer inconsciemment en nous la peur de la mort nous rend plus rigides, hermétiques à la nouveauté, rejetant ce qui est étranger, considérant ce qui est différent comme dérangeant…

Ah, ce cerveau ! Capable de créer la guerre, mais d’inventer le pacifisme. Capable de polluer la planète, mais de promouvoir l’écologie. Capable de violence, mais aussi de bienveillance. Capable de voir d’autres groupes que le sien d’un œil raciste, mais capable aussi d’aimer et d’estimer certains de leurs membres, parce qu’il les connaît bien, parce que ce sont ses voisins, parce que ce sont des humains. Voilà, c’est tout nous ça, capables en résumé du meilleur et du pire.

Mais heureusement aussi, capables de préférer le meilleur au pire.

Pour des raisons morales d’abord : chacun comprend bien que c’est minable de rejeter ses semblables.

Pour des raisons intellectuelles, ensuite : ça ne tient pas la route de juger certains groupes supérieurs ou inférieurs aux autres en dignité humaine.

Pour des raisons émotionnelles, enfin : parce qu’au bout d’un moment, on va finir par comprendre qu’être habité par la méfiance, le rejet, le ressentiment, la haine, ça nous fait du mal à nous, et pas seulement à ceux qu’on rejette.

Voilà pourquoi le racisme recule, année après année, siècle après siècle.

Souvenons-nous qu’il il y a quelques siècles, même de grands esprits comme Voltaire, défenseurs de la démocratie et de la justice, écrivaient des horreurs sur les juifs ou les africains. Parce qu’ils baignaient dans une culture où les préjugés étaient tellement peu contestés qu’ils en étaient devenus invisibles.

Plus près de nous, quand j’étais gamin, il y a quelques décennies, les blagues racistes et sexistes étaient balancées sans la moindre honte. Et tout le monde ou presque en riait. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le discours raciste est devenu hors-la-loi, mieux : il est devenu honteux. Il règne toujours dans quelques cerveaux, mais en secret, et en silence ; c’est toujours ça.

Alors c’est vrai, ce n’est pas encore fini, et il y a encore trop d’esprits contaminés ; c’est vrai, ce n’est pas encore gagné, et il y a des moments de régression, de recul ; c’est vrai, il faut continuer, il y a encore plein de combats à mener.

Mais aujourd’hui, quand on se retourne et qu’on regarde d’où on vient, on peut quand même se dire que c’est plutôt bien enclenché cette histoire…

 

PS : cet article reprend ma chronique du 12 avril 2022 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.

Illustration : ” Salut Jules ! Tu ne vas pas me dire que ton cerveau est contaminé par le biais tribal ?!”