Le désir de croire

 

Quand j’étais jeune médecin, un peu bêtassou, je m’amusais beaucoup de l’effet que je faisais dans les repas d’amis, une fois que j’avais annoncé ma spécialité : dès que les invités savaient que j’étais psychiatre, si je me mettais à écouter attentivement quelqu’un en silence, on pensait que jétais en train de lire dans ses pensées.

Pouvoir que je n’avais évidemment pas, hélas. Et effort que je ne faisais pas non plus : qu’on se le dise, quand un psy ne parle pas lors d’un dîner, il n’est pas en train de faire pas des heures supplémentaires, mais il pense simplement à autre chose, comme tout le monde…

Puis, devenu vieux psychiatre, j’ai vécu un autre phénomène, assez proche finalement : comme j’étais expérimenté et médiatisé, les patients pensaient que j’avais des super-pouvoirs. En fait non, hélas, les super-pouvoirs j’aurais bien aimé, mais j’ai toujours été un psychiatre normal, ordinaire. Et mes résultats provenaient juste de mon travail. Je me percevais en mécanicien du cerveau, là où les patients me voyaient comme un Père Noël de l’âme, qui allait leur offrir à coup sûr le cadeau de la guérison…

C’est touchant, ce désir de croire, chez les enfants mais aussi chez ces enfants, trop vite devenus grands, que sont les adultes. « La foi est plus belle que Dieu » chante Claude Nougaro. De même chez les petits, la croyance au Père Noël est plus touchante que le Père Noël lui-même, avec sa fausse barbe de coton et son costume en feutrine élimée.

Touchants aussi, les moments où cette foi décroit. D’abord les enfants doutent de l’existence du Père Noël ; puis un jour ils n’y croient plus ; puis ils ne font même plus semblant d’y croire.

Cette période grise, entre le « j’y crois » et le « je n’y crois plus », est celle où les enfants font semblant, ils jouent le jeu des paquets arrivés de nuit par traîneau de rennes, car c’est une manière de recevoir leurs cadeaux plus poétique, plus mystérieuse, plus douce à vivre.

Il me semble qu’il se passe la même chose pour notre sujet d’aujourd’hui, le mentalisme. Regardez l’évolution des mots :
– Autrefois on parlait de magie (et donc de quelque chose de surnaturel),
– Puis, on a utilisé le mot prestidigitation (terme forgé 1823 à partir du latin prestus-digitus, « doigt rapide », et qui renvoie non plus au surnaturel mais à une habileté manuelle),
– Enfin, on se tourne aujourd’hui vers le terme de mentalisme (qui évoque un savoir-faire lié à des capacités mentales, d’intuition, d’attention et de mémoire notamment).

Ça ressemble à une lente désillusion. Mais en réalité, l’esprit humain préfère souvent croire au surnaturel (à la magie), qu’admirer la naturel (la concentration ou l’habileté manuelle). Et à la fin, qui gagne ? Est-ce le désir de croire à la magie ? Ou le froid regard porté sur les trucs et le travail en amont ? C’est le désir de croire, bien sûr.

C’est pour ça que malgré tout, malgré les termes prestidigitation ou mentalisme, malgré les explications, malgré les livres et les traités, chaque tour effectué devant nous, avec nous, nous émerveille, nous fait retomber en enfance, dans un monde où des êtres supérieurs à nous (les adultes ou les magiciens) possèdent un savoir merveilleux et incompréhensible, auquel nous n’avons pas accès. Mais qui nous fait rêver.

Voici ce qu’en dit l’écrivain Pascal Quignard : « La lucidité peut être considérée comme une valeur plus haute que l’illusion. Mais, quoi qu’il en soit et mal gré qu’il en ait, le désir de croire renaît comme le sommeil ou comme la soif, ou comme l’attachement de l’amour, ou comme l’envie d’être heureux. »

Et oui, nous autres les humains sommes habités par ce désir de croire ; nous pouvons juste choisir vers quel objet le diriger. Et mieux vaut finalement choisir de croire à l’amour, au bonheur, à la magie… plutôt qu’à d’incertaines sottises venues des ténèbres de nos écrans ou des réseaux sociaux…

 

Illustration : il y a beaucoup de personnes qui croient toujours que la Terre est plate…

PS : cet article reprend ma chronique du 20 décembre 2022 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.