Pourquoi écrire nous fait du bien

 

Aujourd’hui, une chronique en 3 actes sur le thème « Pourquoi écrire nous fait du bien »…

Acte I : Validation.

Oui, validation : écrire nous fait du bien, on le savait depuis longtemps, et c’est désormais largement démontré, depuis les travaux pionniers de l’américain James Pennebaker qui accumula, à partir des années 1990, de nombreuses données issues de la recherche sur les bénéfices du journal intime : mettre en mots nos expériences de vie, notamment lorsqu’elles sont douloureuses, aide à leur compréhension, et donc à leur mise à distance psychologique ; mais étonnamment, cette « écriture de soi » améliore aussi notre santé physique et diminue par exemple notre consommation de soins médicaux.

Pour autant, ces bienfaits ne proviennent pas seulement de ce que l’écriture nous permet d’exprimer ce que nous ressentons, et de faire sortir nos émotions. S’il n’y avait que ça, le dialogue avec une personne bienveillante et à l’écoute ferait aussi bien, et peut-être même mieux.

Non, écrire, cela permet d’aller plus loin. C’est notre Acte II : Révélation.

Et la révélation, c’est ceci : l’écriture n’obéit pas aux mêmes lois que la pensée, et écrire ce n’est pas simplement coucher ses idées et ses émotions sur le papier. André Gide le remarquait dans son Journal : « J’attends trop souvent que la phrase ait achevé de se former en moi, pour l’écrire. » Eh oui, quand on écrit, l’effort que l’on conduit pour transformer des ressentis flous en mots clairs, non seulement clarifie ces ressentis, mais aussi les transforme et les enrichit. L’écriture a son génie propre, et en écrivant, des idées viennent sous nos doigts, qui n’étaient pas apparues dans notre cerveau. C’est le sens de la belle remarque de Paul Valéry : « Grandeur des poètes de saisir fortement avec leurs mots ce qu’ils n’ont fait qu’entrevoir faiblement dans leur esprit.

Jusqu’ici, tout va bien donc, mais voici notre Acte III : la séquence désolation, et même double désolation !

Première désolation : écrire, c’est produire un effort. Pour faire sortir des mots clairs de nos bouillies de pensées, il faut s’accrocher, il faut s’efforcer : rester devant sa feuille de papier, ne pas abandonner, continuer d’écrire, laisser peu à peu sa cervelle s’échauffer jusqu’à ce que le jus des mots s’en écoule. L’écriture est à la pensée ce que le kérozène est au pétrole : un produit très raffiné. Bon, je sais, ce n’est pas une comparaison écolo, mais passons…

Écrire demande ainsi un effort, et un effort répété, et un effort qui ne va pas être forcément récompensé dans l’immédiat. On doit apprendre à écrire ses ressentis et ses pensées, et tout apprentissage demande temps, et renoncement à la facilité et l’immédiateté.

L’écriture, c’est comme la méditation finalement : elles apportent toutes les deux apaisement et discernement, mais ça ne se fait jamais de manière spectaculaire, ça s’affine de jour en jour, de mois en mois, d’année en année. Ce n’est pas à la mode ça, les trucs qui demandent du temps et des efforts.

Et c’est la deuxième désolation : l’écriture (je parle de l’écriture de soi, l’écriture de compréhension, pas de l’écriture d’éructation, comme sur Twitter), cette écriture d’approfondissement, donc, est une pratique qui est peut-être en voie de disparition.

L’autre jour, par exemple, j’étais ému en apercevant sur la banquette, au fond d’un café parisien, une jeune fille en train d’écrire dans un petit carnet. Je me suis dit que ça faisait des mois ou même des années que je n’avais plus observé ça.

Et j’ai eu le sentiment d’assister à un grand virage, de voir l’humanité abandonner peu à peu l’introspection et l’écriture, pour se laisser glisser vers de nouveaux horizons et de nouveaux idéaux : clavier plutôt que papier, connexion plutôt que réflexion, intelligence artificielle plutôt que jus de cervelle…

L’avenir de l’écrit s’écrit donc, là, devant nous. Que sera-t-il ? Nul ne le sait. Mais une autre question se pose à ce propos : cet avenir, qui l’écrira ? Nous ou des machines ?

 

Illustration : Il y a ceux qui écrivent et ceux qui lisent ( et que ça fatigue…). 

PS : PS : cet article reprend ma chronique du 14 février 2023 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.