Le milieu de la vie

La crise du milieu de la vie ?

Ça me fait penser à ce qui se passe à la fin d’une
randonnée en montagne : après avoir atteint le sommet, on redescend tranquillement
dans la vallée. Et effectivement, parmi les soucis de la quarantaine, figure le
sentiment que, au moins corporellement parlant, on est sur la pente
descendante. Ce n’est pas forcément désagréable, les descentes, elles
comportent même des aspects plaisants: on lâche prise, on est en roue libre, on
prend le temps de regarder et de souffler, alors que dans la montée on serrait
les dents. Mais la descente, c’est aussi la fin de la balade, le jour qui décline,
les jambes qui flageolent… C’est comme quand on prend de l’âge : le corps fatigue,
mais l’esprit grandit en sagesse et en sérénité. Ne rigolez pas, j’ai des
preuves, vous allez voir…

Pour en revenir à la crise de la quarantaine, elle
correspond donc à la prise de conscience que l’on se trouve à peu près au
milieu de notre vie.

Elle est ce moment où l’on comprend qu’on est – peut-être – plus
près de la fin que du début, plus près du jour de notre mort que de celui de notre
naissance ; que nous avons plus d’années derrière nous que devant ;
qu’on n’est plus tout à fait des jeunes mais pas encore des vieux ; et que
de nouvelles générations pleines d’énergie sont en train de nous pousser vers
la sortie…

Bon, tout ça pourrait n’être pas très gai. Mais il y a quand
même des bonnes nouvelles ! La principale c’est que presque toutes les
recherches montrent qu’en vieillissant on devient plus apte au bonheur. La
plupart des personnes voient leur niveau de bien-être émotionnel augmenter
régulièrement à partir de 45 ans, et ça monte comme ça, de plus en plus,
jusqu’à au moins 70 ans.

Il y a tout un tas d’explications possibles.

Les matérialistes disent que c’est parce qu’à partir de 45-50
ans, les enfants commencent à être grands et moins fatigants, on est en train
de finir de rembourser le crédit de l’appartement, on a mis en principe sa
carrière professionnelle sur des rails, etc. Bref, plus de bonheur parce que
moins de stress…

Mais il y a d’autres raisons, plus psychologiques. Comme on
prend de l’âge et qu’on sait compter, on comprend qu’il ne nous reste plus un
temps de vie illimité.

Pour certains, c’est terrifiant, et ils refusent de
vieillir : ils se jettent sur les voitures décapotables, la chirurgie
esthétique, les vêtements de jeunes, la musculation et le régime sans gluten ;
ils se font teindre les cheveux, blanchir les dents, et même, si besoin, échangent
leur vieux conjoint contre un plus jeune, tout neuf. Bon, pour eux, les ennuis ne
vont pas tarder, parce que, bien sûr, on perd toujours ce genre de course
contre la montre.

Pour les autres, pour la plupart d’entre nous, vieillir, ça
va bien sûr nous attrister au début ; mais peu à peu, ça va nous stimuler.
On comprend que le bonheur, c’est maintenant. On lâche les raisonnements qui
consistent à se dire « je m’occuperai de mon bonheur quand… » : quand
j’aurai remboursé mes emprunts, quand les enfants seront casés, quand je serai
calife à la place du calife, quand je prendrai ma retraite, etc.

On comprend que tout pourrait s’arrêter plus vite que prévu,
et que ce serait dommage de ne pas avoir savouré la vie avant. On devient plus
intelligent, plus sage, on savoure ce qu’on ne prenait pas assez le temps de savourer ;
on s’énerve moins sur ce qui nous énervait et qui n’en valait pas la
peine ; on apprend à lâcher prise, à éviter les personnalités toxiques,
les rabat-joie, les grincheux et les casse-pieds. Ce sont tous ces
micro-changements qui rendent la seconde partie de notre vie plus belle.

Et vous, du moins si vous êtes concerné(e), comment ça se passe chez vous cette petite crise du
milieu de vie ?

Illustration : qu’y a-t-il de l’autre côté ? (David Plowden).

PS : ce texte reprend ma chronique du 26 septembre 2017, dans l’émission de mon ami Ali Rebehi, “Grand bien vous fasse”, tous les jours de 10h à 11h sur France Inter.