Le poids du passé

 

Il y a deux grandes erreurs que l’on commet souvent en psychothérapie, mais aussi dans la vie.

La première, c’est de ne pas accorder assez d’importance à notre passé ; la seconde, c’est de lui en accorder trop. Voyons ça ensemble…

Première erreur, donc : ne pas accorder assez d’importance à son passé. C’est croire que nos efforts présents, nos succès ou nos difficultés, ne doivent rien, ou peu, à tout ce que nous avons vécu auparavant, à notre famille, à notre milieu social, ou même au département dont nous venons…

Eh oui, que nos ancêtres aient vécu dans le Loir-et-Cher ou en Algérie, qu’ils aient été riches ou pauvres, anxieux ou heureux, qu’ils aient connu guerre, déportation, violences, ou qu’ils en aient été protégés… tout cela et bien d’autres choses du passé, nous façonne, sur le plan psychologique et même biologique, comme le montrent les recherches sur l’épigénétique.

D’où l’évidente nécessité de ne jamais négliger son passé, et de régulièrement travailler à mettre au jour la manière dont il nous influence, et dont nous pouvons, de cette influence, garder le meilleur, et écarter, de notre mieux, le reste.

Et puis, à un moment, il faut lâcher l’affaire ! Sous peine de commettre la seconde erreur dont nous parlions tout à l’heure, qui serait de trop attendre de ce travail sur ses racines : rien de plus stérile que de s’enliser dans son passé, de patauger dans le ressentiment, la plainte, la nostalgie, la quête de toujours plus de passé, de toujours plus de secrets…

À un moment, il faut arrêter de farfouiller dans ce que Malraux appelait « notre misérable petit tas de secrets »…

Nous sommes des êtres vivants, et non des fantômes ! On définit parfois le Vivant comme « une mémoire qui agit ». Eh bien, la vie, c’est se souvenir pour mieux agir, et pas se souvenir au lieu d’agir.

Et puis, la vie, c’est aussi chercher au bon endroit…

L’autre jour, sur une plage en Bretagne, j’ai croisé un monsieur en quête d’un trésor : il marchait le regard rivé au sol, avec une canne qu’il promenait au ras du sable pour détecter les métaux, et un casque sur la tête pour entendre les bips-bips.

Je l’arrête pour lui demander ce qu’il avait trouvé de beau, et gentiment, il me montre son butin : 2-3 pièces de monnaie, de vieilles clés, et quelques vis, clous et autres boulons. Nous bavardons 5 minutes, puis chacun de nous repart de son côté.

Le ciel est magnifique ; la rumeur des vagues et les cris des mouettes nous font un bain sonore à la fois stimulant et pacifiant ; ça sent bon l’iode, les embruns et le varech.

Et ce monsieur sympathique me fait alors penser à certaines personnes obsédées par la psychogénéalogie et par les secrets de famille, qui cherchent les clés du bonheur et du bien-être au mauvais endroit : dans le passé plutôt que dans le présent, et sous le sable plutôt que dans le ciel…

 

Illustration : un de mes ancêtres, j’en suis sûr, a été jadis barman dans une taverne romaine (squelette avec deux cruches à vin. Mosaïque de Pompéi, 1er siècle avant JC).

PS : cet article reprend ma chronique du 10 janvier 2023 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.