Voix intérieures

 

 

Le 7 septembre 1911, le poète Guillaume Apollinaire est arrêté et conduit à la prison parisienne de la Santé : on le suspecte d’avoir été complice du vol rocambolesque de la Joconde au musée du Louvre, quelques jours plus tôt. Apollinaire est innocent, et il vit douloureusement son incarcération, comme en témoignent les premiers vers de son poème À la Santé, qu’il rédigea peu après :

« Avant d’entrer dans ma cellule
Il a fallu me mettre nu
Et quelle voix sinistre ulule
Guillaume qu’es-tu devenu »

A cet instant, la honte du pauvre Guillaume s’exprime sous la forme d’une voix intérieure marquée par la honte, plus encore que la culpabilité, puisque coupable, il ne l’est pas.

Ces formes de voix intérieures, claires, distinctes, qui accompagnent nos épreuves ou nos bonheurs, correspondent à ce que décrivait Platon, dans son dialogue du Théétète : « penser c’est se parler à soi-même ». Elles sont alors l’émanation de notre esprit conscient, confronté à tel ou tel événement.

Il y a aussi parfois des voix qui résonnent à l’intérieur de notre esprit, mais qui semblent ne pas nous appartenir, et nous venir de l’extérieur, comme dans hallucinations auditives : celles-ci se retrouvent chez 10 à 40% des adultes, dont 5 à 10% de manière régulière. Je me souviens, pour ma part, d’avoir une fois entendu à mon esprit la voix de mon père, mort depuis plusieurs années, qui me parlait distinctement. Je précise tout de suite que les hallucinations auditives ne sont pas forcément associées à des troubles psychiatriques. Le trouble psy, c’est si on commence à répondre à nos voix, ou à leur obéir…

Il y a encore, dans ce vaste monde des voix intérieures, tout le discours intime que nous nous tenons, lorsque nous nous encourageons face à une difficulté : « vas-y, tiens bon, ça va passer… », ou lorsque nous nous félicitons après un succès : « super, bravo, tu t’en es bien sorti ».

Toutes ces voix sont claires et distinctes. Mais parfois, nos voix intérieures prennent la forme d’un murmure confus. Ce sont alors les voix de l’intuition, des chuchotements discrets, des presque rien qu’il faut se donner la peine d’écouter…

Bien souvent, les voix de l’intuition ne sont pas des paroles mais des sensations, des ressentis corporels : elles sont l’expression discrète de l’intelligence de nos émotions. Nous sentons que quelque chose ne va pas, que l’on nous ment ou manipule, ou que nous sommes en train de prendre une mauvaise décision. Rien de repérable rationnellement, mais comme une petite voix dans notre cœur ou notre ventre qui nous dit « ça ne va pas, il y a un truc qui cloche dans ce que tu es en train de faire… »

Alors, faut-il les écouter ces petites voix intérieures, ces voix de l’intuition ? Oui, bien sûr, il faut écouter toutes les voix. Faut-il leur obéir ? Eh bien, pas toujours…

Car tous les travaux montrent que les murmures de l’intuition ne sont à suivre que dans des situations dont nous avons une longue habitude, une solide expérience. Pour le reste, mieux vaut s’appuyer sur la raison : s’arrêter, réfléchir, discuter avec un proche, peser le pour et le contre… Bref, quitter le monde poétique des voix intérieures et des intimes convictions, pour celui de la logique et de la rationalité. Un monde de la raison un peu malmené ces derniers temps, mais c’est une autre histoire…

Revenons plutôt à notre bon Guillaume, toujours emprisonné à la Santé, et qui tente de se consoler :

« Le jour s’en va
Voici que brûle
Une lampe dans la prison
Nous sommes seuls dans ma cellule
Belle clarté Chère raison »

C’est beau, n’est-ce pas ? Eh bien, ce seront mes vœux aux auditrices et auditeurs de France Inter : que la Belle clarté et la Chère raison soient à leurs côtés – à nos côtés – durant l’année qui vient. Nous en aurons bien besoin…

 

Illustration : Guillaume Apollinaire pendant son proces au palais de justice de Paris en novembre 1913…

PS : cet article reprend ma chronique du 11 janvier 2022 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.