Réhabilitation des tripes et des boyaux
Dans l’histoire de l’humanité, 1751 est une année ordinaire.
Sauf qu’elle voit, tout de même, la publication d’un petit ouvrage réjouissant, un « Essai théorico-physique et méthodique à l’usage des personnes constipées, des personnes graves et austères, des dames mélancoliques et de tous ceux qui restent esclaves des préjugés ».
Son auteur, Pierre-Thomas-Nicolas Hurtaut n’est pas passé à la postérité, mais il était pourtant un représentant d’une longue lignée d’écrivains, ayant célébré depuis l’Antiquité la sonorisation de notre digestion.
Ainsi, avant lui, Rabelais avait imaginé Pantagruel lisant un ouvrage intitulé Ars honeste pettandi in societate. Et après lui, Serge Gainsbourg avait publié un de roman de la même eau, Evguenie Sokolov, pas vraiment passé à la postérité lui non plus – je parle du roman pas de son auteur -, mais dont voici un extrait de la mise en musique, par Gainsbourg lui-même…
Mais tout ça, c’était le regard du monde d’avant sur ce qui se passe dans nos intestins. Un regard tantôt paillard et joyeux, avec les dissertations potaches et rigolardes sur nos pets et nos crottes, tantôt condescendant et invisibilisant : on ne parle pas de tout ce qui conduit au caca, parce que ce n’est pas chic.
C’était très injuste, car nos intestins sont des organes admirables et intelligents, beaucoup moins considérés que notre cerveau ou notre cœur, mais à tort ! Heureusement, dans le monde d’aujourd’hui et de demain, la médecine et la recherche sont en train de réhabiliter à toute vitesse notre tube digestif, en dévoilant notamment l’univers merveilleux – je pèse mes mots – du microbiote digestif, vous savez, ce bon kilo de bactéries bienveillantes installées dans nos intestins, et qui dans l’ombre, travaille pour nous et notre santé, nuit et jour…
Eh oui, nos intestins ne sont pas seulement un long tube – 6 mètres tout de même ! – servant à absorber nos aliments, ils sont un laboratoire complexe, où se déroulent des phénomènes biologiques qui vont peser très lourd sur notre immunité, notre équilibre mental, bref sur l’ensemble de notre santé.
Et ce, grâce à tout un tas de petites cellules immigrées…
Car j’ai souvent l’impression que notre corps pourrait être comparé à une société humaine, ou à un pays, dans lesquels se mélangent tout un tas de cellules, ou de citoyens, certaines et certains né(e)s sur place, et d’autres venu(e)s d’ailleurs. De leur interdépendance et de leurs efforts mutuels de reconnaissance des uns par les autres, de leur désir de vivre en bonne intelligence, va naître la bonne santé, celle du corps ou celle de la société.
Bon, je m’égare, je ne suis pas sociologue, mais médecin alors je reviens à ce que je connais à peu près : cette reconnaissance du rôle du microbiote témoigne d’une évolution intelligente de notre médecine moderne, de son attachement à ne pas seulement s’occuper de soigner les maladies, mais aussi de prévenir, de faciliter la santé, de restaurer les bons équilibres intérieurs de notre corps. Ce qui passe par un mode de vie sain, respectueux des besoins de ce même corps : besoin d’une nourriture adaptée, d’activité physique, d’environnements non pollués, etc.
Si nous lui offrons tout ça, notre organisme sera bien plus à même de s’auto-équilibrer, de s’auto-réparer. Et de nous aider à accéder à plus de bonheur et plus de sagesse. Oui, oui, une part de nos capacités à la sagesse, cette lucidité bienveillante et apaisée sur la vie, le monde et nous-même, passe par notre équilibre microbiotique !
C’est en tout cas ce que pensait Montaigne, qui s’intéressait beaucoup au fonctionnement de son corps et de sa digestion, et qui écrivait dans ses Essais : « Nous n’avons de sagesse que de nos organes. » Ou que dans le silence, ou le bonheur, de nos organes, tube digestif compris…
Illustration : un ouvrage qui fit un certain bruit à sa parution…
PS : cet article reprend ma chronique du 31 mai 2022 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.