Les chiens, maîtres de joie

 

 

Cette chronique est dédiée à tous les chiens de mon enfance. Il y a d’abord eu Laïka, le loulou blanc de mon grand-père, ainsi nommé en hommage à son homonyme soviétique, une petite chienne qui fut le premier être vivant envoyé dans l’espace par l’URSS, en 1957 ; exploit par procuration, dont mon grand-père était très fier, puisqu’il était communiste, comme beaucoup de grands-pères à l’époque.

Ensuite, il y eut Quito, Memanos, Pekelou : oui, les noms de chiens en disent parfois long sur l’imaginaire de leurs familles d’accueil, mais c’est une autre histoire…

Puis, devenu adulte et citadin, je me suis mis à moins aimer les chiens. Principalement à cause de leurs propriétaires.

Les possesseurs de chien qui les laissent déposer leurs crottes partout dans les villes.

Les possesseurs de chien qui dépensent des sommes folles pour s’acheter la nouvelle race à la mode et afficher ainsi leur différence ou leur supériorité, au lieu d’aller en adopter un à la SPA.

Les possesseurs de chien qui les confient toute la journée à des dog-sitters, qui amènent ainsi dans les parcs et les bois tout proches des grandes villes, des troupeaux de canidés névrosés par la vie en appartement, et qui se défoulent – on les comprend – en aboyant, galopant et chiant sur des sentiers jadis tranquilles. Les possesseurs de chien, enfin, qui passent leur journée à brailler des ordres à leur susbtitut névrotique à pattes…

Amour des chiens, suivi de désamour, donc. Puis en prenant de l’âge, je me suis remis en question : à force de rouspéter après les chiens et leurs inciviques propriétaires, je me suis dit que je devenais un vieux grincheux. Du coup, j’ai décidé de regarder tout ça de plus près, écartant mes rouspétances et attendrissant mon œil ; j’ai vu alors apparaître la Joie pure, l’Amour désintéressé et la Bienveillance universelle.

En observant les chiens citadins courir ventre à terre dans les bois, ou sur les plages, j’ai découvert ce qu’était la joie animale, vitale, la joie simple et intense d’exister. Les chiens semblent toujours heureux d’être là où ils sont, et nous pourrions nous en inspirer.

Puis il y a l’amour : l’amour du chien pour son maître est magnifique, inconditionnel, éternel. Lui aussi, cet amour, est palpable, tangible, visible : ainsi quand le couple maître et chien se promène, le second se retourne souvent sur le premier pour vérifier qu’il est toujours là, que rien ne lui soit arrivé. Qu’ils sont émouvants et inspirants, ces petits regards répétés et affectueux du chien pour son maître !

Et puis il y a quelque chose de plus fort encore, que le poète Christian Bobin a décrit d’une phrase : « Nous devrions rendre grâce aux animaux pour leur innocence fabuleuse et leur savoir gré de poser sur nous la douceur de leurs yeux inquiets sans jamais nous condamner. »

Les chiens ne nous jugent pas, ni ne nous condamnent : même avec nos défauts, nos petitesses, nos limites, nos échecs et nos lâchetés, les chiens nous aiment. Comme devraient nous aimer nos semblables, et comme nous devrions les aimer : imparfaits et casse-pieds, parce que fragiles et mortels.

Voilà, c’était le récit de ma conversion : maintenant, quand je vois une crotte de chien au milieu du trottoir, avant de commencer à rouspéter, je me dis que ce petit paquet est sorti d’un animal qui en a beaucoup à nous apprendre, en matière de joie, d’amour, et de bienveillance…

Illustration : un sympathique chien, sur une mosaïque du IIème siècle avant JC, à Alexandrie.

PS : cet article reprend ma chronique du 4 mai 2021 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.