Noël, sapins, voiture
Un de ces derniers matins, en sortant de chez moi, je vois beaucoup de sapins de Noël abandonnés sur les trottoirs.
Rien de plus triste qu’un sapin de Noël sur un trottoir gris et humide d’un mois de janvier. Enfin, si, il y a plein de choses bien plus tristes, plein d’abandons bien plus dramatiques. Mais disons que ces expulsions de sapins dans la rue, après qu’ils aient été désirés, décorés, associés à tant de joies, après qu’ils aient participé à la vie et aux rires des familles, rappelle plein d’autres expulsions et abandons tristes…
Ouh la, je sens que mon cerveau glisse vers le spleen, ce n’est pas le moment, j’ai des ennuis, je ne suis pas en forme, inutile d’en rajouter. Alors, à cet instant, je souris et je rappelle à mon esprit quelques souvenirs gais et histoires joyeuses associés à ces fêtes, histoire de tempérer mes états d’âme.
Je repense par exemple à ce courrier, que m’écrivait peu avant les fêtes une patiente, qui n’a pas toujours eu une vie facile, et qui me racontait ceci :
« Hier soir, de retour de Paris, j’ai eu pour la première fois de ma vie une vraie joie à l’idée de célébrer cette fête de Noël, laissant les douleurs et les souffrances parentales derrière moi. J’ai écouté l’enfant en moi, qui ne s’était guère exprimé à l’époque. Il y a longtemps que je voulais m’offrir un père Noël avec une échelle que l’on met à la fenêtre. Cela m’a toujours fasciné. Hier soir, j’en ai acheté un et il est à ma fenêtre ce matin. J’y ai ajouté une étoile lumineuse la nuit. Ça rend mon cœur plus léger, la magie opère ! »
C’est drôle : moi aussi, ça m’amuse et ça m’attendrit ces petits pères Noëls absurdes accrochés aux balcons et rambardes. Comme les déballages de guirlandes, de crèches, d’illuminations diverses. Je suis amusé de découvrir chez ma patiente les mêmes réactions enfantines.
Puis, je pense à cette patiente. À cette « future ex-patiente » devrais-je dire, car peu à peu, elle a de moins en moins besoin de nos séances. Nous sommes de moins en moins dans la thérapie, et de plus en plus souvent dans la réflexion sur le cap et le sens de son existence. Nous discutons souvent de ses choix de vie ; parfois nous ne sommes pas d’accord sur certaines décisions à prendre. Mais c’est toujours elle, bien sûr, qui tranche à la fin. Et elle a de plus en plus souvent raison, il me semble.
Par exemple, il y a quelque temps, elle a voulu s’acheter une petite voiture. Comme elle ne roule pas sur l’or et que c’était une période encore compliquée de sa vie, au moment où elle m’a demandé mon avis, et après l’avoir bien amené à me dire pourquoi elle souhaitait faire ça, je lui ai expliqué que ça ne me semblait pas indispensable, en tout cas en ce moment, et surtout pour quelqu’un qui vivait dans Paris.
Mais elle n’était pas d’accord, et m’a expliqué pourquoi : autonomie, balades à la campagne, vacances, symbole par rapport à ses parents qui n’en avaient jamais eu, etc. Puis, elle a quand même acheté sa voiture.
Un an après nous faisions un bilan : sa voiture ne lui avait apporté que des joies, elle avait du coup quitté Paris, et sa nouvelle vie était bien meilleure que l’ancienne. Elle avait eu raison. Ce que j’ai reconnu avec grand plaisir. Voir ses patients avoir raison et prendre les bonnes décisions est un bonheur qui n’est surpassé que par une chose : voir ses enfants faire pareil. Dans les deux cas, on est heureux qu’une personne pour qui on a de l’affection ,et à qui on souhaite une belle vie, soit capable de mieux voir que nous ce qui est bon pour elle.
Tiens, ça va mieux dans ma tête.
Le ciel me semble moins gris, le sort des sapins, moins triste. Braves sapins, ils ont bien fait leur boulot, leur pied coupé, dans des lieux trop chauffés pour eux. Ils vont bien bien affronter leur destin. Ils ont mérité de revenir à leur terre natale, après un circuit de recyclage pas forcément très sexy, puisqu’il commence par le camion-poubelle. Mais tôt ou tard, chacun de leurs atomes redeviendront autre chose.
Merci les sapins, c’était sympa ces fêtes avec vous dans un coin de la maison…
Illustration : “bon, on le ramène où ce sapin, maintenant ?”