Paroles et silences d’amour

 

« Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour. » Vous connaissez sans doute cette citation. Mais connaissez-vous son auteur ?

Il s’agit de Pierre Reverdy, un poète du XXème siècle, largement oublié mais qui fut très proche du surréalisme et du cubisme, et considéré comme Le Poète exemplaire par ses cadets, comme Aragon et bien d’autres. Reverdy était un drôle de bonhomme, mystique et contemplatif, qui passa les 30 dernières années de sa vie aux portes d’un monastère, attendant l’illumination de la foi.

Il était d’une exigence radicale envers son art, la vie et l’amour, et on retrouve ainsi dans un de ses poèmes cette phrase qui en dit long : « Je suis le mari d’une femme débraillée / Qui montre son cœur et son âme pour rien. »

Reverdy n’était pas un adepte des paroles d’amour trop vite prononcées et offertes, pas un adepte du bla-bla des séducteurs, qui marche pourtant si bien auprès des humains… C’était un pudique, un coincé de la déclaration, un constipé de l’exhibition sentimentale, un aphasique de l’amour : il le ressentait, mais avait du mal à l’exprimer.

Il est donc à contre-courant complet de ce que notre époque encourage : l’expression des émotions comme hygiène de vie. C’est une ligne qui a incontestablement du bon, après tant de siècles passés à les réprimer, ces émotions.

Et puis, comme toujours, c’est une tendance qui a engendré ses excès : moi qui suis le premier à rappeler les bienfaits des émotions positives, à ressentir, cultiver et exprimer, je suis aussi le premier à être agacé par certaines dégoulinades de bons sentiments, certaines exhibitions d’amour, comme celles que l’on observe sur beaucoup de plateaux télé, où l’on s’envoie volontiers entre petites stars des « je t’aime » jetables.

Oui, finalement j’en arrive à bien aimer les grincheux comme Reverdy, qui s’opposent de toutes leurs forces à la dictature des extravertis de l’amour, ces taiseux qui considèrent que les paroles d’amour, c’est du sérieux, ça ne s’étale pas en public à tout instant, mais ça se murmure dans le noir et à voix basse, en de rares occasions. Ces exigeants, qui estiment qu’amour et bavardage ne font pas bon ménage.

Pour ces ultra-sobres de l’expression des émotions, dire des mots d’amour, c’est s’engager à toujours aimer. Et avec ça, ils ne rigolent pas. Ils sont des adeptes de ces mots que Marguerite Yourcenar fait dire au héros d’un de ses romans, l’empereur romain Hadrien : « Si je fais peu de promesses, c’est que j’entends les tenir ».

Eh oui, il y a des humains comme ça, qui ne disent pas souvent des mots d’amour, parce qu’ils les prennent très au sérieux. Pour eux, le langage de l’amour, ce ne sont pas tant des paroles vite prononcées et vite oubliées, qu’une présence attentive et fidèle. Ils sont plus à l’aise avec des silences d’amour sincères, qu’avec des paroles d’amour légères.

Si vous en avez des comme ça à vos côtés, ne les persécutez pas trop, et savourez tout ce qu’ils vous offrent par ailleurs : la fidélité, la sobriété et le dépouillement, ça fait du bien. Et puis, certains silences d’amour sont parfois plus forts et plus sincères que bien des paroles d’amour…

 

Illustration : un déballage excessif d’émotions (Le Combat des Centaures et des Lapithes, par Johann Georg Platzer, 1725, Musée du Louvre).

PS : cet article reprend ma chronique (à écouter ici) du 11 avril 2023 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.