Psychothérapies et pet de travers

 

« Vanité des vanités, tout est vanité ! {…} Tous les fleuves vont vers la mer, et la mer ne se remplit pas, et les fleuves continuent d’aller vers la mer. Tout est ennuyeux. {…} Tout ce qui fut, cela sera ; ce qui s’est fait, se refera. Et il n’y a rien de nouveau sous le soleil. {…} Le sage voit devant lui et le fou marche à tâtons. Soit ! Mais je sais bien aussi qu’ils ont tous deux le même sort. {…} Il n’y a point de souvenir durable ni du sage ni du fou ; et le sage meurt bel et bien comme le fou. »

Voilà, cet extrait de L’Ecclésiaste, dans la Bible, c’est pour les personnes qui pensent encore que la psychologie et la psychothérapie, c’est de la prise de tête contemporaine. Mais non ! La souffrance psychique est là depuis très longtemps, elle était là 300 avant notre ère, voyez L’Ecclésiaste. Et elle reste là aujourd’hui, et avec elle, le besoin d’en être soulagé.

La psychologie est certes une discipline nouvelle, qui prend naissance à la fin du XIXe siècle, mais elle a de lointains ancêtres. En Orient, le bouddhisme, dont la naissance est due au désir de Siddhārtha Gautama de comprendre et soulager les souffrances humaines. En Occident, quand la philosophie prend naissance en Grèce Antique, ce n’est pas pour spéculer sur la vie mais pour aider les humains à devenir meilleurs, au travers de nombreux efforts et exercices liés au quotidien.

Le philosophe et historien Pierre Hadot, qui fut l’un des premiers à montrer cela, expliquait que les exercices spirituels proposés par les grecs, se répartissaient en trois grandes familles : exploration, surplomb et expansion de soi.

  • L’exploration de soi, bien sûr, apprendre à se connaître pour mieux freiner ses passions tristes et se rapprocher de ses idéaux ; dans le but que décrivait le philosophe latin Plotin : « Ne cesse jamais de sculpter ta propre statue. » Cette exploration de soi, c’est bien sûr le domaine privilégié de la psychothérapie.
  • Après l’exploration, il y a le surplomb de soi : prendre du recul, de la hauteur, s’écarter de la mêlée de ses pensées, de ses émotions, de ses intérêts, pour considérer sa vie de plus haut ; pour se demander ce qui compte le plus pour soi, que l’on oublie parfois ; pour réfléchir à ce qui est important dans nos vies (l’amour, la nature…) et que l’on sacrifie souvent à ce qui nous semble urgent (les horaires, les factures…). Ce surplomb de soi peut nous être offert par certains moments de la thérapie, mais pas seulement : ce sont aussi tous les instants où l’on arrête sa course du quotidien, pour se demander si notre existence va là où nous voulons.
  • Enfin, il y a l’expansion de soi, qui consiste à s’oublier et à se relier au monde environnant ; à cesser de vouloir constamment être unique et singulier ; à découvrir l’interdépendance : se sentir humain au milieu d’autres humains, et savourer ce lien ; à découvrir l’appartenance : se sentir vivant au milieu du vivant, et savourer le bonheur simple d’exister. Cette expansion de soi nous est offerte par exemple par la méditation, mais aussi par toutes les formes de contemplation, de prière ou de spiritualité.

Ce modèle antique nous rappelle que la psychothérapie est un processus qui passe souvent par ces trois étapes : d’abord se comprendre (l’exploration de soi), puis prendre du recul (le surplomb de soi), puis s’oublier et s’ouvrir au monde (l’expansion de soi).

Car la thérapie, ce n’est pas qu’un soin : elle ne consiste pas seulement à supprimer nos souffrances, à s’en libérer, à faire qu’elles exercent moins d’emprise sur nous. Elle est aussi une quête : quête de soi, de sa place dans le monde, de sa responsabilité envers les autres, peut-être…

J’aime bien cette remarque, que l’on attribue, sans certitude, à Nelson Mandela : « Que vos choix reflètent vos espoirs, et non vos craintes ». Voilà une belle définition possible de la psychothérapie : nous aurons toujours des peurs, des colères, des tristesses, toujours un « pet de travers » comme on dit à Toulouse. Et la thérapie, c’est ce qui nous aide à ce que ce ne soient plus tous ces pets de travers qui dirigent nos vies, mais nos idéaux et nos espoirs.

 

Illustration : si elle s’en sort, cette brave antilope aura sans doute besoin d’une thérapie pour son stress post-traumatique…

PS : cet article reprend ma chronique du 25 avril 2023 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.