Pupuce et Papi : pourquoi utilisons-nous des surnoms ?
Un soir au restaurant, en famille, parents, enfants et grands-parents. Nous plaisantons avec la patronne, qui en prenant les commande s’adresse à mon beau-père : « et vous papi, vous prenez quoi ? ». Gêne immédiate : Papi, c’est pour nos enfant, pas pour les adultes ! Les jours suivants, mon cerveau revient sur cette histoire de surnoms.
Nous en utilisons très souvent. Les sondages dans ce domaine montrent qu’en couple, par exemple, environ 90% des partenaires utilisent des surnoms tendres. Amour, Bébé, Chéri(e) sont les plus universels. Mais il y a aussi les noms d’animaux, en général domestiques (chat, mais pas chien), petits (souris, mais pas rat), fragiles (lapin, mais pas blaireau).
Il existe même un nom technique : l’hypocoristique (du grec hupokoristikos, caressant) qui désigne la création de mots pour exprimer une intention affectueuse ; le plus souvent par déformation par détournement d’usage (chou, perle, puce) ou répétition de syllabe (fifille, bébé, pupuce).
L’hypocoristique obéit à des règles non dites mais strictes, d’où le malaise instantané que l’on ressent (comme nous au restaurant) si elles sont enfreintes.
Ainsi, les surnoms ne s’utilisent que pour s’adresser à des proches, non à des inconnus, et en présence de proches, non en public.
Autre règle intuitive : en cas de conflit, il devient impossible d’utiliser le surnom tendre : on s’engueule alors plutôt avec le prénom. Le surnom est un amplificateur relationnel, en général d’affection ; mais aussi parfois de rejet.
C’est le cas des surnoms dévalorisants, les sobriquets.
On les utilise en l’absence de la personne, pour marquer son désamour (« c’est pas vrai ! vous avez encore invité Bouboule à la soirée ? »). Ou pire, en sa présence, pour la dévaloriser (« Alors Bouboule, toujours pas au régime ? »).
Ces surnoms facilitent l’intention dévalorisante : il est plus difficile de rabaisser quelqu’un avec son vrai prénom.
Il n’y a pas que l’affectif, l’usage des surnoms obéit aussi à une logique peu magique ou primitive.
Des études anthropologiques font cas de cultures où le vrai prénom ne doit pas être utilisé au quotidien, pour ne pas fragiliser la personne, qui dispose alors d’un surnom d’usage commun.
Dans les milieux populaires jadis, on utilisait beaucoup les surnoms à la place des prénoms, comme pour ne pas les user. Le surnom était au prénom ce que les habits de tous les jours étaient aux habits du dimanche.
Enfin le surnom nous rappelle que notre identité n’est pas unique, mais multiple, contextuelle. Nous ne sommes pas la même personne selon qu’on nous appelle Mamounette, Mon Trésor, ou Madame la directrice.
Et vous, quels surnoms vous a-t-on donné dans l’enfance ? Lesquels vous donne-t-on aujourd’hui ? Ont-ils une influence sur vous ? Et disent-ils quelque chose de la manière dont les autres vous perçoivent ? Allez mes petites puces, au boulot !
Illustration : vous le reconnaissez, c’est Juju ! Jules César ! (Anu Garg & IA)
PS : cette chronique a été publiée à l’origine dans Psychologies Magazine en mai 2024.