Quel est ton nom ?

 

Lors d’une retraite que j’effectuais chez les bénédictins, je tombai un jour, dans la bibliothèque du monastère sur un drôle de livre. J’ai oublié son titre, ce devait être quelque chose comme « Cheminer vers Dieu » mais je n’en suis pas tout à fait sûr. Par contre, je n’ai pas oublié son auteur : « Un moine chartreux ».

Pas de nom d’auteur ? Je tourne le livre dans tous les sens, en me disant que je finirai bien par trouver quelques informations sur cet auteur si discret. Mais non, rien de plus. Alors, un petit vertige me saisit. Tout le monde se dit modeste, mais finalement personne ne l’est véritablement, ni jusqu’au bout.

Même le fait de se montrer modeste peut nous flatter, comme le note Jules Renard dans son Journal : « Je m’enorgueillis de ma modestie… »

Personne, ou pas grand monde, n’est véritablement prêt à renoncer à toutes ces petites miettes d’estime de soi. Le moine qui avait écrit ce livre avait réussi, lui, à mettre à distance cette gratification sociale : avoir son nom sur une couverture de livre.

Moi qui ai le sentiment, peut-être erroné, d’être plutôt modeste, j’avoue qu’il ne m’est jamais venu à l’esprit de publier un livre portant sur la couverture la seule mention : « un psychiatre », en lieu et place de nom d’auteur.

Le génial Milan Kundera rêvait de cela, lui aussi, et déclarait un jour : « Je rêve d’un monde où les écrivains seraient obligés par la loi de garder secrète leur identité et d’employer des pseudonymes. Trois avantages : limitation radicale de la graphomanie ; diminution de l’agressivité dans la vie littéraire ; disparition de l’interprétation biographique d’une œuvre. » C’est bien vu.

Mais il n’y a pas que les auteurs qui veulent afficher leur nom, il y a aussi les nobles, les princesses, ducs et autres baronnes, bien souvent prompts à mettre en avant leur lignée, pour en rappeler l’ancienneté et l’excellence, et se l’approprier. C’est Alphonse Allais qui disait « Être Monsieur de Quelque chose, ça pose son homme ! Comme être de Garenne, ça pose son lapin. »

Mon grand-père communiste me rappelait souvent, quant à lui, ce proverbe cévenol, pour moquer les prétentions nobiliaires autour des noms de famille : « Avec un œuf on fait trois nobles : Monsieur de la Coquille, Madame du Jaune, Mademoiselle du Blanc ». Et il concluait : « on s’en fout du nom de famille, nous appartenons tous à une seule famille, l’humanité… »

Bon, alors c’est vrai on est tous frères et sœurs d’une même famille humaine. Mais quand même, ce peut être normal de bien aimer son nom !

D’abord parce que c’est un outil incontournable dans nos relations sociales. Souvenez-vous des cours de récré, le jour de la rentrée scolaire : « Comment tu t’appelles ? » Ou plus tard, de votre premier excès de vitesse : « Vos papiers s’il vous plait… »

Ensuite, parce que notre cerveau est de la partie. Par exemple, si on demande à des volontaires de dire quelles sont leurs lettres préférées, en se débrouillant pour brouiller un peu les pistes, on s’aperçoit que les lettres de nos initiales, et plus globalement les lettres composant nos noms et prénoms, sont celles que nous apprécions le plus ; et ça marche aussi d’ailleurs pour nos dates de naissance exprimées en chiffres.

Ainsi, Pilar préfère souvent le Pepsi, et Carmen le Coca ! Et une personne née en juin jouera plus souvent le 6 au Loto, qu’une personne née en septembre, qui misera plutôt sur le 9 ! De façon étonnante, cette influence peut aussi s’exercer sur des choix existentiels plus importants, comme ceux de nos lieux de résidence (noms de rue ou de communes) : Pilar préférera vivre Place Pompidou à Paris, et Carmen, Chemin des Carrières à Caen.

Vous toutes et tous qui m’écoutez, je vous laisse vérifier tout ça : tenez-moi au courant de vos chiffres et lettres préférés, et de leurs rapports éventuels avec vos noms et prénoms.

Ça m’intéresse, et surtout ça vous dira peut-être quelque chose de votre affection ou de votre aversion pour vos appellations sociales…

 

Illustration : L’Abbaye bénédictine d’En-Calcat, à Dourgne, dans le Tarn,  où se déroule le début de l’histoire…

PS : cet article reprend ma chronique du 5 mars 2024 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.