Rompre ou ne pas rompre ?

 

Le problème avec les psys, c’est que si vous leur posez une question, ils vont en entendre une autre derrière. Par exemple, si vous leur demandez : « comment savoir s’il faut rompre dans son couple ? », ils vont plutôt s’intéresser à la question : « pourquoi entrer et rester dans un couple ? ». Comme je suis psychiatre, c’est donc sur cette dernière question que mon cerveau s’est embarqué. Et en voici quelques éléments de réponse…

Si l’on s’engage dans une liaison de couple, et si on persiste, c’est que, sauf masochisme, on y trouve plus de bénéfices que de contraintes…

C’est par exemple qu’on ressent en couple, plus que quand on était seul, des émotions agréables : aimer, admirer, rire, partager, donner et recevoir de l’affection… ;

C’est qu’on y ressent aussi moins d’émotions désagréables : le couple exerce en général un effet protecteur sur nos peurs, nos déprimes, nos colères, et sur le risque d’être atteint de troubles psychiatriques sévères ;

C’est qu’enfin le couple, en tout cas celui qui marche bien, est une facteur puissant de développement personnel : notre partenaire nous sécurise sur nos bons côtés et nous pousse à les cultiver, il nous alerte sur les mauvais et nous pousse à les modifier.

Et puis, dans le couple, au moins en théorie, au moins au début, il y a l’amour…

L’amour est une émotion, et une émotion, c’est forcément périssable. Les théories modernes de psychologie scientifique définissent, avec des argument convaincants, l’amour comme un état de résonnance émotionnelle entre 2 personnes : une résonnance réciproque, simultanée, aboutissant au désir de faire du bien à l’autre.

L’amour n’est donc pas un état permanent – mauvaise nouvelle, mais il est par contre – bonne nouvelle, renouvelable à l’infini tout au long d’une vie, à condition d’y consacrer un peu d’efforts et d’attention.

Les mots importants dans ce que je viens de dire, ce sont « efforts » et « attention » : eh oui, l’amour, c’est du boulot. Si ces efforts et cette attention ne sont pas là, l’amour meurt et le couple avec lui. Plus rien de ce que nous avons évoqué précédemment ne fonctionne alors : les émotions agréables vécues à deux se font plus rares, les désagréables plus nombreuses, on a le sentiment que l’autre ne nous fait plus progresser…

Faut-il alors tout arrêter ? Il faut se poser la question en tout cas, mais en se méfiant de deux grandes menaces !

La première est celle du couple jetable, de la paresse liée à notre époque consumérisme et narcissique : la relation ne me satisfait plus ? Comme je le ferai d’un objet en panne, je la jette, au lieu de chercher d‘abord à comprendre, améliorer, réparer…

L’autre menace est aussi celle de la paresse, mais une paresse en sens inverse, liée non plus à l’impulsivité et à l’impatience, mais à l’inertie : je sens que ça ne va plus, mais je continue, je ne prends aucune décision. C’est ce que décrit Christian Bobin, dans son livre La folle allure : « La vie de couple est sans fond, immense. Elle peut être dévastée par un côté, et se poursuivre tranquillement par un autre côté. La vie de couple est un gros animal résistant, lent à mourir. »

Alors, quand l’amour bat de l’aile, que faire pour ce gros animal qu’est le couple ? Réanimation ou euthanasie ?

Eh bien, on peut déjà commencer par en parler : entre membres du couple évidemment, mais aussi avec les proches et les amis, avec des professionnels de la psychologie.

Pour s’efforcer de ne pas trop banaliser l’expérience du couple, si épanouissante quand elle fonctionne. Pour s’efforcer aussi de ne pas trop la sacraliser non plus : le bonheur passe par de nombreux autres liens que le seul lien amoureux. Car chacun sait qu’il n’y a pas que l’amour dans la vie, et la vie est belle, pour tout le monde, en duo ou en solo…

Comment ? Je n’ai pas vraiment répondu à la question posée ? Eh oui, mais vous le savez bien, c’est toujours comme ça avec les psys…

 

PS : cet article reprend ma chronique du 30 août 2022 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.

Illustration : scène de rupture ou déclaration d’amour renouvelée ?