Secrets de psys
Je me permets de vous signaler la sortie ces jours-ci d’un livre collectif dans lequel des psychothérapeutes racontent comment ils utilisent pour eux-mêmes les méthodes qu’ils proposent à leurs patients. Et comment ces méthodes les ont parfois sauvés, et toujours aidés…
Voici quelques extraits de la préface que j’ai rédigée :
Qu’est-ce qui est nécessaire pour être un bon soignant ?
Eh bien, pour être un bon soignant, il y a d’abord ce qui est indispensable : c’est bien sûr que le soignant ait appris à soigner. D’où l’importance des diplômes et des formations : il faut toujours oser demander à son thérapeute quel est son diplôme (psychologue, psychiatre, médecin ou autre), quelles sont les méthodes qu’il propose, et en quoi elles consistent. Un thérapeute digne de ce nom prendra toujours le temps de vous répondre et de vous expliquer sa façon de travailler. La thérapie, ce n’est pas simplement de l’écoute et du bon sens. En tout cas, ce n’est pas que ça. C’est aussi un ensemble de techniques, un savoir-faire, des repères basés sur la recherche scientifique, l’expérience apprise d’autres thérapeutes, etc.
Pour être un bon soignant, il y a ensuite ce qui est préférable : c’est qu’au moment où il soigne, le thérapeute n’aille pas trop mal dans sa tête. Bien sûr, on peut soigner tout en étant stressé, abattu, perturbé. Mais cela ne marchera pas très longtemps. La formule de Nietzsche : « Plus d’un qui ne peut se libérer de ses chaînes a su néanmoins en libérer son ami » ne peut s’appliquer durablement à la psychothérapie. Il est malhonnête et mensonger de prétendre soigner des patients alcooliques si on est soit même dépendant de la boisson. Il est malhonnête et mensonger de prétendre soigner des patients anxieux ou déprimés si on est soit même en pleine dépression ou sujet à des attaques de panique. Je me souviens de cette anecdote d’un psychanalyste de renom venu un jour faire une conférence sur les phobies dans une grande ville loin de chez lui : il était lui-même totalement phobique, et les collègues qui l’avaient invité devaient l’accompagner dans tous ses déplacements pour qu’il ne panique pas ; ces collègues étaient du coup un peu perplexes, face à ce grand écart entre discours et réalités. Bien sûr, il ne s’agit pas d’exiger un certificat de bonne santé mentale de la part des thérapeutes. Mais la moindre des choses, c’est d’attendre d’eux qu’ils aient surmonté leurs fragilités. Ainsi, une des plus grandes spécialistes de la maladie bipolaire (ce qu’on appelait autrefois maladie maniaco-dépressive) souffre elle-même de bipolarité. Elle n’a pas eu honte d’en parler dans un livre très émouvant (Kay Redfield-Jamison : De l’exaltation à la dépression, Confessions d’une psychiatre maniaco-dépressive. Paris, Laffont, 2003.) dans lequel elle raconte comment sa maladie aurait pu la détruire si elle n’avait pas accepté de se soigner, et comment cette fragilité lui a à la fois compliqué la vie, tout en l’enrichissant. La question n’est donc pas celle de la maladie mais de son traitement : à ce titre les professionnels de santé doivent être des modèles non pas tant de bonne santé que de bonne gestion de leur santé.
Pour être un bon soignant, il y a enfin ce qui est intéressant : le fait d’avoir connu des difficultés et d’avoir eu à s’en débarrasser peut être une bonne chose pour les psys. Cela facilite l’empathie : on comprend mieux la souffrance si on a souffert soi-même. Je dis bien facilite, car il y a tout de même d’autres voies pour l’empathie que le chemin de la souffrance personnelle. Mais avoir été souffrant et s’en être sorti, cela aide à la maîtrise d’outils dont on s’est aussi servi pour soi-même. Et cela ramène à notre esprit de soignant l’humilité, et la conscience de la difficulté de ce que l’on demande parfois à nos patients. En plus de leur savoir, les soignants qui sont passés par différentes formes de difficultés disposent alors d’une autre expertise : celle de l’expérience. Ils se trouvent en général un peu en avant sur le chemin : ils se sont appliqués à eux-mêmes les démarches qu’ils proposent à leur patient. Leur légitimité vient aussi de là. Pas d’une supériorité (en termes de personnalité) mais d’une antériorité (en termes de démarche).
Ce livre raconte donc les expériences vécues de nombreux psychothérapeutes face à leurs difficultés personnelles. Certaines de ces difficultés sont assez répandues pour être familières à la plupart d’entre nous, comme le stress, l’anxiété, ou la dépression : d’autres sont plus radicales et déstabilisantes, comme la toxicomanie, ou les maltraitances. Dans cet ouvrage, des psys vous parlent de ces difficultés, et surtout de ce qui les a aidés à s’en sortir. Et à ne pas y retomber : on y aborde aussi ce que les thérapeutes font pour prendre soin d’eux et continuer d’aller bien. Car il faut continuer d’aller bien pour bien soigner : le bien-être du thérapeute est une aide puissante à ses capacités de compassion. Les compétences d’écoute, d’empathie, de soutien se doivent de reposer sur la joie de soigner pour prétendre durer.
Vous retrouverez donc dans ces pages des conseils concrets pas seulement utiles, mais utilisés : c’est-à-dire validés par l’expérience personnelle du thérapeute. Attention : les thérapeutes de ce livre ne se présentent pas comme des modèles à admirer ; plutôt comme des modèles dont s’inspirer : faillibles, fragiles, mais qui ont mis en pratique les efforts qu’ils recommandent. Plus émouvants, donc plus motivants. Des modèles fraternels, en quelque sorte : pas meilleurs au départ que leurs lecteurs, mais plus avancés dans la démarche, et désireux de transmettre un peu de leur expérience.
J’ai été passionné et touché de découvrir chez des collègues, dont certains sont aussi des amis, des difficultés dont nous n’avions jamais parlé. Je pense que vous serez vous aussi passionnés et touchés par ces récits. Les thérapeutes qui se livrent ici font preuve d’honnêteté et de courage. Comme les patients qui viennent nous livrer leurs souffrances, leurs échecs, leurs hontes, leurs peurs. Et nous montrer leurs ressources. Et nous associer à leurs efforts, leurs progrès…
PS :présentation du livre par Sylvain Courage, du Nouvel Observateur, qui lui consacre un dossier spécial cette semaine.