Toutes et tous fidèles !
J’aime bien notre époque, ses révolutions techniques (c’est quand même super, Internet) et ses révolutions sociales (les droits des femmes, il était temps que ça accélère). Toute cette modernité c’est passionnant, c’est formidable, c’est épatant, c’est bath, c’est in !
Mais j’aime aussi plein de vieux trucs du passé : les livres en papier, les timbres-poste, les mots oubliés (comme morganatique, ou irénisme). Et j’aime les vieux concepts, comme la fidélité. D’ailleurs, est-ce qu’un vieux concept est forcément un concept dépassé ? Bien sûr que non ; la fidélité, par exemple, est certes un vieux concept, mais pas du tout dépassé. Allez, parlons-en…
D’abord, à quoi est-on fidèle, quels sont nos objets de fidélité ? Il peut s’agir de personnes : nos conjoints bien sûr, mais aussi notre famille et nos amis, car la fidélité ne suppose pas forcément l’exclusivité, et on peut avoir des fidélités multiples.
On peut aussi être fidèle à des lieux, des souvenirs, des valeurs… Objets multiples et fidélités variées donc, c’est pourquoi ce qui définit le mieux la fidélité, c’est le lien, c’est de la comprendre comme le désir et l’effort de maintenir un lien, malgré les difficultés du temps qui passe, de l’éloignement, c’est le désir de résister parfois aux tentations d’autres liens qui remplaceraient et effaceraient les précédents.
Le philosophe André Comte-Sponville le résume très joliment : « La fidélité est une vertu du passé et de l’avenir, une vertu de mémoire mais aussi d’engagement ; elle est le souvenir reconnaissant de ce qui fut, joint à la volonté de le faire durer, de résister à l’oubli, l’inconstance, l’ennui… »
Ah, un dernier point à ne pas oublier : la fidélité, bien que vertu, n’est pas que solennité et discipline, elle est aussi une attitude de vie, élégante, légère et joyeuse…
Et puis, la fidélité n’est pas qu’une vertu individuelle, elle a aussi de grands bénéfices collectifs !
Une société qui ne serait pas habitée de fidélités multiples serait instable, amnésique, ingrate. Et en danger ! Vous connaissez le proverbe africain : « Quand on ne sait pas où l’on va, il faut au moins savoir d’où l’on vient. » La fidélité, c’est savoir d’où l’on vient, et s’en souvenir. Afin de se sentir un peu plus forts, un peu plus lucides, face à un avenir parfois incertain et inquiétant.
Il y a une nécessité de fidélités multiples et partagées pour faire un groupe (car la fidélité stabilise nos liens) et même, n’ayons pas peur des grands mots, pour faire une société humaine (car toute société a besoin de valeurs et la fidélité est l’essence de l’adhésion à toute valeur).
Or, les menaces sur la fidélité sont aujourd’hui nombreuses. Ainsi, notre société marchande, qui nous incite sans cesse à changer : de vêtements, de lieu de vacances, d’amis, de conjoint, de vision du monde… Ou qui limite la fidélité à ses dévoiements marchands, à des bons ou cartes de fidélité. Et puis, la fidélité n’est pas une vertu de tout repos : elle nécessite constamment remise en question et réflexion personnelle : ainsi, la fidélité à une ligne politique ou à une religion ne suppose pas la soumission à leurs dérives.
C’est peut-être pour cela que certains, comme François de La Rochefoucauld, pensent que toutes ces contraintes font de la fidélité une idée illusoire, et il écrit ainsi : « La violence qu’on se fait pour demeurer fidèle à ce qu’on aime ne vaut guère mieux qu’une infidélité. »
C’est tellement contemporain ! On dirait du Houellebecq, en plus chic ! Mais – pardon François – c’est tellement faux ! Non, une infidélité ne pèse pas du même poids qu’une fidélité ! Ce serait trop triste que nos efforts ne vaillent pas mieux que nos paresses, et ne nous conduisent pas plus loin et plus haut !
De mon côté, en tout cas, je préfère rester fidèle à la fidélité…
PS : cet article reprend ma chronique du 28 février 2023 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.
Illustration : père et fille, lors d’un mariage en Sicile, été 2022 (merci à Simona).