Un art de se plaindre
Un souci, une souffrance, un chagrin ? Alors, ne pas le garder pour soi, en parler, partager : jusqu’à présent, on pensait qu’il valait mieux exprimer nos inquiétudes que les réprimer.
Quelques études récentes ont remis en question cette conviction, au moins en partie.
Ainsi, un nombre important de personnes très inquiètes à la suite d’actualités dramatiques (attentats notamment) ont été suivies sur des périodes allant de deux mois à deux ans. Et celles qui ont le plus largement parlé de leurs angoisses, avec des interlocuteurs ou sur les réseaux sociaux, se sont avérées aller moins bien que celles qui s’étaient moins épanchées.
Comment l’expliquer ?
En fait, même si parler de nos soucis nous donne le sentiment – réconfortant – d’être moins seuls, cela nous pousse aussi à leur accorder de l’importance, à nous focaliser sur eux, au détriment de tout le reste, , et à maintenir ainsi un niveau élevé d’émotions douloureuses.
Pour autant, la répression de nos émotions est sans doute pire. Et la question n’est pas « en parler ou non ?» mais plutôt « comment en parler et avec qui ? ».
Comment en parler ?
Pas tout le temps, bien sûr, et pas que de ça ! Devenir des personnes dolentes, se plaignant pour être plaintes en retour n’est pas une bonne idée. « Ne rends pas tes souffrances plus fortes encore : ne te charges pas de plaintes… » écrivait Sénèque. La plainte est une demande, d’écoute et de réconfort dans un premier temps, d’aide et de conseils dans un second temps.
C’est pourquoi la question « avec qui » est importante.
C’est bon de parler de ses problèmes à quelqu’un, c’est toxique (pour autrui et pour nous) de ne parler que de ça à tout le monde ! Inutile de multiplier nos plaintes, nous ne ferons que les enraciner plus profondément en nous ; réservons-les à des interlocuteurs choisis : quelques proches ou amis, voire un thérapeute, en cas de souci majeur ou si nous nous savons fragiles.
Que vont faire ces confidents ? D’abord nous écouter, accueillir et respecter notre détresse ; puis nous aider à comprendre notre réaction, à prendre du recul, à agir si possible ; enfin, nous encourager à porter notre attention vers d’autres choses que la seule adversité qui nous tourmente : à retourner doucement vers la vie.
Une autre étude intéressante sur les endeuillés montrait ainsi qu’à côté de nos proches ou d’un thérapeute, un soutien important était apporté par les animaux de compagnie. Eh oui, ils ne nous donnent pas de conseils, certes, mais ils ne renchérissent pas sur nos soucis, ne co-ruminent pas avec nous ! Sensibles à notre chagrin, ils nous manifestent du soutien, et nous tirent avec simplicité de leur côté, du côté de la vie.
Car l’art de la plainte est surtout un art de cesser la plainte : une fois le chagrin partagé, une fois les conseils écoutés, se remettre de son mieux à vivre et à sourire.
Illustration : Il y a des voisins qui vont se plaindre du bruit… (Bruegel, Danse paysanne, 1568).
PS : cette chronique a été publiée à l’origine dans Psychologies Magazine en octobre 2024.
Références :
- What is good grief support ? Exploring the actors and actions in social support after traumatic grief. PLoS ONE 2021.
- Expressing thoughts and feelings following a collective trauma : Immediate responses to 9/11 predict negative outcomes in a national sample. Journal of Consulting and Clinical Psychology 2008.
- Student reactions to the shootings at Virginia Tech and Northern Illinois University : Does sharing grief and support over the internet affect recovery ? Personality & Social Psychology Bulletin 2010.