Une tendance dont je ne me suis jamais débarrassé


Tout petit déjà, j’avais ça : la peur de faire de la peine aux gens.

Attention, pas la peur normale, pas le souci de ne surtout pas blesser en étant méchant, malpoli, agressif.

Non, la crainte excessive, envahissante, inappropriée : par exemple, l’embarras de ne rien acheter au marchand qui me regarde passer, solitaire et sans clients derrière son étal. Ou celle de ne pas avoir donné tout mon argent au mendiant.

L’autre jour ça m’a repris. Dans le train, un obscur embarras est monté en moi parce que je n’achetais rien au monsieur qui passait avec son chariot de sandwichs et de boissons dans le compartiment ; et avant de monter dans le TGV, embarras encore de ne rien acheter au vieux vendeur de journaux posté en bout de quai.

C’est bizarre comment ça me remonte par moments, cette hypersensibilité à la détresse éventuelle d’autrui. Je n’ai jamais clairement compris pourquoi à certains moments j’arrive à m’en déconnecter et pourquoi à d’autres elle me déborde. En vérité, je crois que n’ai jamais cherché à m’en débarrasser vraiment. Il me semble que j’y perdrai un peu en humanité.

Illustration : Famille de mendiants, par Rembrandt.